Passé, présent, futur. Tout se mêlait dans le crâne de Casey. Il ne savait plus où il en était, encore moins qui il était. Autrefois, les choses étaient simples, bien à leur place: Casey, jeune avocat destiné à faire la fierté des Franklin, fiancée à Layla et un ami sur qui il pouvait compter envers et contre tout, Eamon. Tout était carré, défini et aucune limite n'était transgressé. Il avait une vie normale en somme, que chaque mortel espérait avoir. En l'espace de quelques minutes, une simple pause, un misérable café, quelques cicatrices sur le visage bleui de son meilleur ami et il se retrouvait dans la position la plus délicate qu'il n'ait jamais été. Ses sentiments avaient implosé et Casey n'avait pas pu les renfermer dans sa poitrine, il était désormais trop tard et faire machine arrière revenait à se retirer à mains nues ses poumons entre sa cage thoracique. Pourtant, il aurait tant voulu reculer, ne pas laisser la situation lui échapper puisque désormais, Arthur se savait trop faible pour résister à Eames. La vérité nue était si claire aujourd'hui: c'était lui, juste lui, à l'infini et vivre séparé de cette personne lui était impossible. Il n'était rien, plus rien sans Eamon pour faire battre son coeur dans un tintamarre assourdissant. En apparence, Casey se voulait froid en cet instant, les poings serrés par la retenue, comme s'il voulait faire taire ses sentiments, comme si tous les arguments contre eux qu'il arrivait à trouver étaient des obstacles infranchissables. S'en convaincre, lutter pour finalement s'avouer vaincu en entendant le discours déchirant d'Eamon. Une déclaration à couper le souffle, un moment unique qui brisa la glace autour du coeur d'Arthur. Cet homme, il le voulait de tout son être et ce quoique le reste du monde puisse en penser: c’était juste lui, son âme, son corps, tout ce que sa force pouvait lui apporter. Son pilier, son tout, Eamon ne pouvait jamais disparaître de sa vie, pas sans détruire Casey tout simplement.
Ses poings se desserrèrent naturellement, ses yeux retrouvèrent leur intensité et abandonnèrent leur flegme. Casey redevenait lui même, un homme atrocement amoureux, un homme qui avait trouvé sa moitié, son âme soeur alors que celle-ci venait de lui ouvrir son coeur, comme une évidence encore une fois.

Je suis accroché là. Définitivement. Si tu pars, je suis plus rien. Je me décompose quand t'es pas là. Je tombe en ruines quand je te vois avec ces cicatrices. Je meurs quand je sais que t'es là bas et que tu te fais ça. Je me tue à chaque fois que je pense à toi alors que j'ai pas le droit. Je sombre quand je te sens pas contre moi. Eames, t'es tout. T'es mon âme.

Finir par en crever. La deuxième partie du monologue d'Eamon prenait tout son sens pour Casey. Il était comme lui, il ne pouvait plus faire abstraction de ce qui se passait entre eux. Il était prêt au sacrifice pour le voir vivre mais Casey ne pouvait accepter ce fait. Il ne pouvait pas être celui qui le ferait mourir, il ferait tout pour que son amour soit sien, pour qu'il continue de voguer dans ce monde en évitant les plus grosses tempêtes. Arthur avait conscience qu'ils avaient choisi la route de la souffrance, rien ne serait facile, pas dans la situation dans laquelle ils se trouvaient mais Franklin ne pouvait plus combattre contre son moi intérieur. A la place, Casey trouva la main d'Eamon et la serra avec une affection qui dépassait tout entendement. Tant pis si on les trouvait dans cette situation étrange, tant pis s'il perdait tout, Franklin avait simplement pris conscience qu'il ne pouvait se résoudre à tout ce qu'il venait de lui dire. Il n'aurait pas d'enfants, pas tant qu'il ne serait pas avec Riordan, tant pis pour le reste. Il attendrait la mort en toute tranquillité, tant que l'irlandais serait avec lui.

Tu crèverais pas. Si tu tombes, je te relève. Si tu te noies, je plonge avec toi. Je dirais plus de conneries dans le genre alors... Je peux rien te promettre et dieu sait ce que j'aimerais... Mais, je peux t'assurer que mes sentiments pour toi me rendent vivants... Il faut qu'on se sauve d'ici. On est trop en vue dans le coin et.. Bon sang, je dois retourner à mon dossier et j'ai juste envie de passer ma journée avec toi là!

Casey aurait voulu rester ainsi toute sa vie durant mais sa pause avait déjà duré plus que de raison. Au moins, les choses étaient claires maintenant et quoiqu'il se passe, le jeune avocat était désormais sûr de ses sentiments, sûr de l'endroit où son coeur devait terminer, peu importe le chemin emprunté pour arriver à destination...

Et l’horreur du monde n’est rien en
comparaison à ce que l’amour fait.

Alors, peut-être que ce mythe n'en était pas un. Que l'on était toujours créés par paire de deux, deux êtres que l'on séparait dès qu'ils atterrissaient sur cette planète qui depuis longtemps avait perdu toute logique. Deux êtres, deux moitiés pour former un tout. Un autre que certains chercheraient durant leur vie entière. Un autre que d'autres encore ne chercheraient pas. Ceux-là, alors, n'aurait jamais l'espoir de combler le vide qui formait comme une boule glacée au creux de leur ventre. Eamon et Casey. Deux corps, une seule âme. Une seule âme qui ne tendait qu'à se réunifier, deux corps qui ne voulaient que se trouver, deux coeurs qui ne battaient plus que l'un pour l'autre. Riordan avait ouvert encore une fois la petite porte donnant sur son coeur palpitant. Déclaration de haine, déclaration d'amour. Qu'importe alors, puisqu'enfin la flamme renaissait dans les yeux de Casey. Les mots brûlaient leurs lèvres et franchissaient enfin cette barrière tacite. Alors qu'importe. Qu'importe si on les trouvait maintenant, à se regarder dans les yeux avec l'intensité que tant d'auteurs avaient voulu retranscrire dans leurs oeuvres. Les mots apaisaient autant qu'ils déchiraient et déchiquetaient le coeur de Brendan. En lambeaux. Il avait tombé l'armure et ses tentatives pour rapiécer son coeur en miettes ne servaient plus à rien. Il tendait à Arthur la bobine de fil qui servirait à recoudre les morceaux entre eux. Eames lui donnait le fil de l'amour alors qu'il le dévorait du regard, brûlant de l'intérieur. Un fil ténu, un fil invisible, pour réparer leur coeur respectif et à jamais s'attacher l'un à l'autre. Doucement, Franklin vint glisser ses doigts dans la paume d'Eamon. Maigre frisson. C'était le geste le plus simple qu'ils auraient pu faire depuis le début de cette entrevue dévastatrice, mais c'était probablement celui qui le remuait le plus profondément. Pas grand-chose pour beaucoup, un symbole pour lui, une promesse définitivement celée.

Les nouveaux mots de Casey tracèrent un sourire sur le visage du O'Cahan. Lui aussi serait resté des heures puisqu'il y avait tant de choses à dire. Il n'osait répondre à ces mots qui tournoyaient dans son crâne. Reprendre la vie là où ils l'avaient laissé en partant rejoindre la machine à café ? Ils n'étaient plus les mêmes qu'avant cette pause, cette entrevue. Deux nouveaux hommes, et surtout un tout. Il dégagea sa main de celle de son collègue, et s'humecta les lèvres, regardant ailleurs. Ses yeux verts d'eau se posèrent sur un gobelet abandonné. Il rentrait à nouveau dans son rôle de petit génie du barreau. Les apparences étaient traîtresses. C'était ainsi qu'on devait continuer de le voir, de les voir. Il jeta tranquillement le gobelet vidé, n'accordant plus de regard à Casey. Toutes ses pensées s'entrechoquaient, il planifiait, mettait en ordre. Le cerveau d'un surdoué n'était pas toujours facile à supporter. Mais dans ces moments-là, quand il pouvait trouver les failles, voir les erreurs, écarter les mauvaises idées, imaginer chaque possibilité, il était plus que pratique. Il repassait tout près de Franklin. Dans un mouvement souple, il se pencha un peu vers lui, ses lèvres se rapprochant de son oreille. Sa voix, chuchotement grésillant de vie, glissa : "Le week-end prochain, tu vas dire à ta famille que nous sommes tous les deux convoqués à l'autre bout du pays parce que des collègues sur une affaire très délicate ont besoin de notre avis absolument. Tu prendras ta voiture le samedi, comme si tu partais normalement là-bas, mais tu viendras sur le parking un peu à la sortie de la ville, du côté des mauvais quartiers. Je serai là. Je connais une cabane aménagée, à deux cent kilomètres d'ici, perdue en pleine forêt au bord d'un lac. On y passera le week-end ensemble, comme ça."

Se décaler, esquisser un sourire et reprendre le masque qu'il devait habituellement porter. Déglutir, se mordre un instant la lèvre pris d'un léger doute, reprendre encore l'identité qui devait être la sienne dans ce monde cruel et impitoyable. Finalement reposer son regard sur Casey. Ne pas y tenir. Se pencher vers lui, l'embrasser doucement, se redresser, et cette fois définitivement et pour le reste de la journée redevenir avocat. Eamon ouvrit la porte, et sortant à reculons, sourire aux lèvres, il lança à Arthur, bien audible de tous, avant de reprendre le chemin de son bureau : "C'est un des pires cas que j'ai eu à traiter dernièrement ! Il faudra que je te raconte la suite de l'histoire, j'ai le dossier dans mon bureau, je pouvais pas me souvenir de tous les détails même si je crois que je me suis rappelé d'à peu près tous... Enfin bref ! J'ai rogné ton temps de travail à toi aussi, retourne sur ton dossier si tu veux pas qu'on m'accuse de te distraire avec mes affaires de meurtres !" Mimer la vie, mimer l'entrain, avec le talent d'un acteur premier de son cours. Un souffle de vie, pourtant, était réellement revenu en Eames. Il le galvanisait, faisait battre son coeur avec plus de conviction encore. Se retrouver dans son bureau, fermer la porte. À clé. Se laisser tomber dans son fauteuil, fermer les yeux, sourire comme un con au plafond. Reprendre ses esprits, pousser un soupir voguant entre beaucoup trop de sentiments. Eamon reposa son regard sur son téléphone portable, posé sur son bureau. Il l'attrapa, écrit quelques mots, esquissa un sourire, effaça tout, hésita, et recommença. Le nom de Riordan s'afficherait bientôt sur l'écran du smartphone d'Arthur. Souviens-toi, c'est à l'autre bout du pays qu'on nous demande, lirait-il, lui, son ami, son collègue, son âme soeur.

Spoiler:

L'espoir était revenu. Casey n'était pas mort, il était plus que vivant alors que ses yeux pénétraient ceux d'Eamon. C'était cela d'aimer à en perdre la raison. Peu importe les risques, peu importe le lendemain, l'avocat respirait comme jamais. Il avait réussi à mettre des mots sur ce qu'il pouvait ressentir et c'était une sensation tellement puissante que Franklin avait l'impression de voler. Non, il n'était plus sur Terre, il était dans un monde parallèle où il était seul, absolument seul avec son âme soeur, la deuxième moitié de lui même. Pourtant, la réalité devait reprendre ses droits et Casey savait pertinemment qu'être si proche de l'avocat alors que n'importe qui pouvait entrer à tout moment leur créerait bien des préjudices et Eamon devait le savoir puisqu'il s'écarta de lui pour s'attarder sur son gobelet. Un moment de silence magistral que Casey n'était pas certain de pouvoir supporter bien longtemps. Riordan finit par revenir vers lui alors qu'Arthur n'avait pas bougé d'un pouce jusqu'ici. Il vit son compagnon se rapprocher dangereusement avant de lui susurrer une invitation alléchante à l'oreille. Casey sentit qu'un sourire venait fendre son visage: c'était donc cela leur futur dans l'immédiat, se cacher dans les bois, s'aimer en secret jusqu'à ce qu'ils puissent officialiser l'union sincère et inévitable de leurs deux âmes. Casey n'avait jamais rêve de ce genre de relations, il n'avait d'ailleurs jamais rêvé tout court. Il y a quelques heures encore, il tentait de se persuader qu'Eamon n'était rien de plus que son meilleur ami. Rien n'était plus faux bien sûr et il se retrouvait en manque constant de sa personne. Attendre le week end serait bien difficile mais son sourire ne mentait pas sur ses intentions, il y serait et il mentirait si c'était ce qu'il fallait.

Marché conclu!

C'était tout ce que Casey lui répondit alors que ses lèvres rencontrèrent une ultime fois celles d'Eamon. Pacte désormais scellé, coeurs qui battaient à l'unisson, Arthur se sépara d'Eames avec regret alors que tous deux retrouvaient leur masque d'avocat insensible. Il ne put s'empêcher de sourire devant le jeu d'acteur de son amour. Il sortit de la pièce en prononçant bien clairement que cette pause assez longue n'était rien d'autre que de la faute du récit qu'il lui avait narré. Son sourire était communicatif et la prunelle des yeux de Casey se firent rieuses alors qu'il n'avait jamais été aussi heureux. Il voyait ce bonheur dans les yeux d'Eamon également et son coeur faisait toujours autant de bonds alors qu'il lui répondit avec la même ferveur.

Je te communiquerai ma retenue sur salaire dans ce cas! Au plaisir d'entendre la chute de l'histoire au prochain épisode tiens!

Puis, Casey lança un dernier clin d'oeil à Eamon avant que la porte ne se referme sur lui. Il s'adossa de nouveau au mur et se mit à sourire comme un adolescent. Ouais, il était heureux, heureux comme jamais. Il finit par retourner à son bureau, l'air pimpant et le regard neuf. Il répondit au téléphone avec entrain, griffonna sur ses dossiers en chantonnant et regarda avec amusement le nouveau texto qu'il reçut quelques minutes plus tard. Une réponse ne se fit pas tarder "C’est à l'autre bout du monde qu'on se retrouvera." et Casey était impatient de le vivre...

THE END.